2 March 2006
Les Irakiens ne savent pas encore s'ils sont, comme le dit George Bush, à "l'heure du choix" entre "le chaos et l'unité". Ils ignorent si les violences qui ont suivi l'attentat contre la "Mosquée d'or" chiite de Samarra peuvent plonger le pays dans la guerre civile. Cette guerre civile, elle existe déjà, de manière larvée, depuis près de deux ans, et seule la volonté farouche de la population de sortir d'un cycle de vingt-cinq années de guerres et son nationalisme fervent ont empêché qu'elle embrase l'Irak. Ils ignorent aussi si cette guerre civile serait, comme le craint le chef du renseignement américain, John Negroponte, le signal d'une déstabilisation générale du Moyen-Orient, chaque pays - chiite ou sunnite - s'engageant derrière sa communauté.
Le problème n'est pas - encore - là. Il est que l'Irak s'enfonce chaque jour davantage dans la violence, politique, militaire, religieuse, intercommunautaire ou non. Or les causes sont connues : elles s'appellent l'occupation, voulue par les Etats-Unis, et le djihadisme international, mené par Al-Qaida et son chef en Irak, Abou Moussab Al-Zarkaoui.
S'il est impossible de mettre ces deux racines de la violence sur le même plan, tant leur nature est différente, l'évidence est qu'elles se nourrissent l'une l'autre. D'un côté, les Etats-Unis se sont installés dans une logique d'occupation durable alors qu'une majorité de la population était prête à se féliciter de la chute de Saddam Hussein en échange d'une souveraineté immédiatement retrouvée et d'un comportement plus amical. De l'autre, la guérilla irakienne a été enrôlée par les djihadistes les plus extrémistes, ce qui, comble pour une lutte de "libération nationale", conduit ces combattants à tuer cent fois plus d'Irakiens que d'Américains.
Les Irakiens sont pris au piège. Ils ne voient pas d'issue à cette bataille des Etats-Unis contre le djihadisme sur leur sol. Or Al-Qaida, trois ans après l'invasion américaine, a marqué davantage de points que Washington : départ de l'ONU, des humanitaires, des businessmen ; absorption de la guérilla sunnite ; et, peut-être, déclenchement prochain d'une guerre civile. Du côté américain, et en dépit de succès comme les élections récentes, la dernière véritable victoire remonte finalement au 9 avril 2003, à la chute de Saddam Hussein.
Les Etats-Unis doivent rompre avec la logique d'occupation et rendre l'Irak aux Irakiens. Mais la pire solution serait, après l'occupation brutale, un retrait total. Il est impossible d'abandonner l'Irak à Al-Qaida et à ses alliés. Washington doit trouver un équilibre entre la fin de l'occupation et l'accompagnement du pays vers un avenir meilleur. Il faut cesser l'occupation sans donner aux djihadistes le sentiment qu'ils ont gagné la guerre, pour que l'Irak cesse d'être le coeur d'une bataille qu'aucun Irakien ou presque ne souhaite.
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3218,36-746285,0.html